Arles choisit une modernité
radicale pour exposer son passé romain
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Après 12 ans de
travaux, le Musée de l’Arles antique est inauguré, samedi 25 mars, par le
premier ministre, Edouard Balladur. Dédié à la mémoire de l’ancienne cité arlésienne,
le bâtiment, d’une conception nouvelle, est signé par l’architecte Henri
Ciriani
Un Mirage 2000 déchire bruyamment
le ciel de Provence. Un commerçant arlésien lève le nez : « Tiens, un musée archéologique qui
passe. » Le coût de l’avion – sous-estimé, puisqu’il vaut en moyenne
250 millions de francs – est ainsi rapproché de celui du nouveau musée (180
millions de francs). Le prix du bâtiment, son esthétique, sa taille (12 000
m2, 110 m de côté, 10 m de haut) sont aujourd’hui des sujets brûlants
dans l’ancienne cité romaine. Car il s’agit de l’un des plus importants musées
construits depuis le début des années 80. Le premier ministre, Edouard
Balladur, l’inaugure le 25 mars, en compagnie du ministre de la culture,
Jacques Toubon, et du maire de la ville, Jean-Pierre Camoin, tous deux RPR d’obédience
chiraquienne. La construction, d’un bleu intense, posée au bord duu Rhône, est
invisible de la vieille ville ; un remblai autoroutier la coupe de ses
faubourgs comme il coupe en deux l’ancien cirque romain au chevet duquel le
musée a été construit.
Si le projet a été annoncé dès 1968 par Jean-Maurice Rouquette, responsable depuis trente ans des musées de la ville, le choix d’un architecte n’a été fait qu’en 1984. Et douze ans auront été nécessaires pour conduire les travaux à leur terme. Le bâtiment est d’une simplicité absolue : un triangle. La seule forme que le monde romain, riche en carrés, rectangles, ovales et ellipses diverses n’a pas explorée. L’architecte Henri Ciriani, l’auteur du Mémorial de la Grande Guerre, à Péronne (Somme), dont la rigueur est proverbiale, a-t-il voulu se mesurer à ses prédécesseurs de l’Antiquité sur le terrain de la géométrie ? Ce n’est pas exclu. Il faut noter, plus simplement, que le site où s’inscrit le musée est triangulaire et que le programme exigeait la création de trois ailes égales : scientifique, culturelle et muséale. L’ensemble constitue l’Institut de recherche sur la Provence antique (IRPA).
Ces impératifs ont sans doute conduit l’architecte à prendre ce parti, en dépit de la difficulté du pari. Comment, dans cette forme contraignante, présenter une collection hétéroclite (de la statue monumentale au fût de colonne, du sarcophage à l’amphore, du buste funéraire à l’épigraphe, de la borne milliaire au bas-relief), comprenant des objets de toutes tailles, en l’intégrant dans un parcours didactique et chronologique qui doit satisfaire l’esthète, le touriste et le chercheur. Comment insérer dans un espace peu maniable, pratiquement sur un seul niveau, les services scientifiques, les réserves, l’accueil du public et le musée proprement dit ?
La
réponse d’Henri Ciriani est une manière de manifeste. Dans leurs musées, Frank
Lloyd Wright (New York) et Le Corbusier (Tokyo) avaient privilégié le parcours.
Mies van der Rohe (Berlin) avait exalté l’image du temple. Henri Ciriani
conjugue ces idées en y adjoignant celle du lobby de l’hôtel américain, grand
hall qui distribue l’ensemble des espaces intérieurs. L’architecte introduit,
en outre, un éclairage zénithal à l’aide de sheds, sortes de tabatières
obliques prises dans le toit comme dans les constructions industrielles, qui
donnent une lumière naturelle, homogène, tamisée pendant les mois d’été.
A l’extérieur, l’enveloppe de béton est recouverte de panneaux d’hémalite, un émail d’un bleu soutenu – le bleu du ciel provençal nettoyé par le mistral : « la seule chose immuable dans la région depuis l’Empire romain », indique Henri Ciriani. Les Romains utilisaient le marbre pour recouvrir leurs constructions en brique. L’architecte a voulu cet émail pour se mesurer à eux. Mais cette robe couleurs du temps – comme dans le conte de Peau d’âne » -- qui habille le bâtiment en le révélant, est placée derrière un centimètre de verre épais : les images du monde extérieur sont ainsi absorbées plutôt que réfléchies.
L’aile scientifique occupe toute la façade sud. Un enfilade de pièces diverses, ouvertes ou fermées, se déroule dans la continuité : quai de déchargement pour les objets, salles de lavage, de séchage, d’examen, de prises de vue, de restauration, de consultation, de réserves. Au-dessus, une école de fouilles. Cette succession de salles, qui aboutit à un grand volume presque cubique (300 m2) destiné aux expositions temporaires, sert aussi de brise-soleil pour le musée. Le somptueux hall du bâtiment permet d’aiguiller les visiteurs vers l’aile scientifique ou l’aile culturelle, bâtiment blanc sur pilotis tourné ver la ville ancienne et l’extrémité de l’ancien cirque qui affleure : bibliothèque, photothèque, banque de données informatiques, auditorium de 240 places, centre de formation des guides. L’entrée du Musée de l’Arles antique, composante de l’IRPA, est signalée par le monumental Lion d’Arcoule (Ier siècle avant Jésus-Christ), une sculpture réalisée dans le calcaire de la région, devenue symbole de la ville.
L’intérieur du musée est un espace d’un seul tenant, découpé par des cimaises en stuc, peintes de couleurs différentes en fonction des collections. Celles-ci, présentées selon la chronologie, à la lumière naturelle, sont accompagnées de grandes cartes murales et de textes explicatifs, tous peints. On a l’impression de se promener dans un grand livre d’images, sensation ravivée par la présence de maquettes reproduisant les grands monuments de l’Arles antique – théâtre, amphithéâtre, cirque, forum, pont de bateaux, nécropole, meunerie – dont sont issues presque toutes les pièces présentées. En dépit de trois ensembles très forts (la statuaire, les mosaïques et l’exceptionnelle allée des sarcophages), il n’y a jamais de mise en scène de théâtralisation.
La collection du Musée d’Arles est émouvante parce qu’elle a une grande unité, comme la ville elle-même. Chaque pièce, chaque fragment se renvoient l’un à l’autre, du plus grand au plus petit : la statue colossale de l’empereur Auguste et le faune de bronze découvert au fond de l’eau à proximité des Saintes-Marie-de-la-Mer : le délicat buste d’Aphrodite, venu du Théâtre antique, et la figure de Mithra, trouvée dans les fondations d’un moulin ; les modestes amphores, « emballages perdus » de l’époque romaine, ou la copie en marbre de Carrare du bouclier de Rome, témoignage de l’importance de la colonie arlésienne ; la splendide mosaïque de l’Aion dégagée, en 1983, à Trinquetaille, de l’autre côté du Rhône et l’ancre marine repêchée intacte à l’embouchure du fleuve ; les tuyaux de plomb des canalisations du Haut-Empire et la boucle d’ivoire de sainte Césaire, ultime témoignage de l’Antiquité tardive.
Le toit du bâtiment ferme le parcours muséographique. On y accède par un grand escalier aux rampes cornues. On y découvre, au-delà de l’autoroute, encadrés par le Rhône et l’amorce du canal d’Arles à Bouc, les clochers qui ponctuent la ville ancienne. Au loin, tremblent les cyprès des Alyscamps, merveille des merveilles célébrée par l’écrivain Paul-Jean Toulet et qu’il faut aller voir « quand l’ombre est rouge sous les roses et clair le temps ».
(Emmanuel de Roux)
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