par Patricia Ciriani, 2000
Musée d’archéologie, à Arles
(sud de la France)
Architecte Henri Ciriani
En
venant de l’antique ville d’Arles, après s’être emmêlé les pieds dans un
échangeur autoroutier, on aperçoit, au fond d’un champ planté d’arbres, une
longue lame d’un bleu profond surgir de terre avec la force tellurique d’une
plaque d’acier de Richard Serra. S’approchant au pied de cet énigmatique signal
qui miroite d’étranges reflets bleutés, on dépasse un grand arc de cercle en
béton brut qui découvre l’excavation d’un cirque romain, sur lequel poussent
aujourd’hui les herbes folles et diverses autoroutes. De la paroi bleue sertie
de cuivre, quelques volumes blancs vitrés jaillissent sur pilotis. L’espace
dégagé au-dessous est entièrement vitré à l’exception d’un noyau cylindrique
vert qui monte au toit-terrasse – ce fragment évoque la Villa Savoye de Le
Corbusier. Mais on serait bien en peine de trouver une référence connue à ces
portiques monumentaux décrits par la paroi en ses deux extrémités. Contournant
l’édifice, la paroi bleue se dédouble, une autre pointe apparaît, percée d’un
gigantesque rectangle qui cadre le paysage proche. Cent trente mètres plus
loin, on découvre un autre angle travaillé dans son articulation avec un écran-portique
bleu, d’où se détache, autonome, un long bâtiment rouge brique. Les trois
parois se comprennent alors comme les trois faces d’un même triangle, disposées
en hélice autour d’un noyau central d’où émergent deux ailerons de béton brut.
De
ce tour d’horizon, quelques ouvertures vitrées permettent tout juste
d’entrevoir à l’intérieur quelques vestiges datant de l’époque romaine, qui
constituent la collection la plus conséquente de toute la Provence française.
L’enveloppe rectiligne fait écran aux fonctions internes au bâtiment, qui
s’annoncent cependant à travers ce jeu d’évidements et de saillies.
La
visite de l’intérieur révèle la nature des questions soulevées par
l’architecte. L’entrée distribue les principales fonctions de l’édifice sur
quatre cents mètres carrés ; sa position centrale de passage pour les
touristes et personnels du musée, les différents volumes en hauteur qui la
constituent, la lumière naturelle qui la baigne, tout contribue à lui donner la
qualité d’un grand espace urbain intérieur. Parallèlement, on retrouve les
couleurs extérieures à l’intérieur, et l’on comprend qu’elles servent un but
programmatique tout autant qu’esthétique ou symbolique : le rouge pompéien, à gauche de l’entrée, invite
les fouilleurs de terre à rejoindre leur aile scientifique ; sur la
droite, le bleu cristallin donne une qualité d’extérieur lumineux à la rue
intérieure de l’aile culturelle qui mène les étudiants et conservateurs à la
bibliothèque et à l’auditorium. Mais c’est le parcours muséal qui donne toute
la mesure des recherches sur la spatialité que poursuit Henri Ciriani depuis
plus de trente ans.
Le
musée est constitué d’un grand espace déployé d’un seul tenant et de plain-pied
qui se déroule autour du patio triangulaire vitré d’où émergent les deux
triangles verticaux qui contiennent l’escalier de la terrasse-belvédère. Un
plan d’eau dispense dans le patio de tranquilles reflets qui renforcent l’effet
de cloître. On se laisse déambuler au gré des compressions et dilatations
spatiales qui rythment le parcours muséographique. La lumière vient se colorer
à proximité des parois teintes, comme ce rouge de la paroi contiguë à la salle
des mosaïques et à l’aile scientifique, qui vient nimber toute la salle des
sarcophages paléochrétiens. Les cadrages sur le paysage alentour offrent autant
de tableaux à la contemplation du visiteur, protégé dans cette bulle culturelle
où il fait si bon naviguer dans la fluidité de l’espace maîtrisé. La promenade
architecturale se prolonge en hauteur, sur la terrasse d’où le visiteur
comprend toute l’organisation interne du bâtiment ainsi que le dispositif
d’éclairage par les sheds orientés au nord. La vue imprenable sur Arles et ses
environs permet de mieux discerner la forme triangulaire du terrain, cerné par
le Rhône, le Canal de Marseille, et le cirque du côté de la ville. Le musée
s’insère ainsi naturellement dans le site, où il réussit à faire la liaison
entre la ville historique et les nouveaux quartiers qui se développent au-delà
de l’autoroute.
C’est
à un véritable parcours initiatique à travers les paradigmes de l’architecture
que nous convie Henri Ciriani. Son travail minutieux sur les matériaux, la
lumière, l’espace, les couleurs, s’offre à nous dans un dialogue didactique qui
cherche à rationaliser les processus générateurs d’émotion. Libre à nous, par
la suite, de rester captifs de la fine silhouette lumineuse du musée qui
transforme à la nuit tombée le paysage en un tableau de Edward Hopper. Une
concentration brève de présence urbaine qui laisse percevoir son étrangeté.
Pour plus d’information sur
l’œuvre de Henri Ciriani, se reporter aux monographies suivantes :
. Henri Ciriani, Institut Français d’Architecture/ Electa Moniteur,
Paris, 1984. Textes de François Chaslin, Kenneth Frampton, Haig Beck, Javier
Cayo Campos…(traduction en coréen)
. N° spécial de L’Architecture d’Aujourd’hui, Paris, n°
282, septembre 1992.
. N° spécial de Plus, Séoul, n°96, avril 1995.
. Luciana Miotto, Henri Ciriani Cesure urbane e spazi filanti,
coll. Bruno Zevi Testo e Immagine Torino 1996 (traductions en français, anglais
et espagnol)
. Henri Ciriani, éd. Rockport Publishers, Rockport, Mass., 1997.
Préface de Richard Meier et introduction de François Chaslin (traduction en
japonais)
. Ciriani, collection Paroles d’architecte, édité par jean Petit,
Editions Fidia Lugano 1997 (traduction en italien)
. Mauro Galantino Henri Ciriani
Architetture 1960-2000, Editions Skira Milano
2000 (traduction en anglais et français)
. Jean Petit
Ciriani
lumière d’espace Editions Fidia Lugano 2000